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Hamid Mokaddem, philosophe : « La Nouvelle-Calédonie n’est toujours pas sortie d’une opposition entre deux termes : négocier ou se suicider »

Professeur agrégé de philosophie, Hamid Mokaddem explore, dans son livre L’histoire dira si le sang des morts demeure vivant (Au vent des îles, 280 pages, 16 euros), le parcours de l’indépendantiste kanak Jubelly Wea (1945-1989), qui en vint, le 4 mai 1989, à assassiner Jean-Marie Tjibaou et son bras droit, Yeiwene Yeiwene, à qui il reprochait d’avoir signé en 1988 les accords de Matignon : il fut immédiatement abattu par les gardes du corps des deux hommes. Son engagement en faveur d’une rupture radicale avec la France trouve un écho dans les mobilisations actuelles sur l’archipel.
Ces deux visions persistent, et c’est pourquoi il est primordial de les analyser. Jean-Marie Tjibaou porte l’idée d’une souveraineté de la Kanaky ouverte, construite au fur et à mesure, par réappropriation des modèles « exogènes » français – industrie, école, commerce, administration, finances. Il voulait reformuler les souverainetés-chefferies kanak traditionnelles, vidées de leur substance par l’histoire coloniale, en tirant parti de ce qui les entoure. Tjibaou disait : « On ne va pas sortir de la France par la grande porte pour revenir mendier par la fenêtre. » Sa conception prend en compte la mondialisation, la petitesse de l’île et la nécessité de composer avec la puissance administrante. Ce n’est ni une projection aveugle vers la machine folle occidentale, ni un retour intégriste à une société qui n’existe déjà plus.
Jubelly Wea développe une radicalité qui s’explique par l’histoire des rapports de force coloniaux et l’exaspération qui en résulte. Il en est venu à ses positions à cause de déceptions et de rancœurs personnelles, après avoir rompu avec son parti et son Eglise. Sa visée politique ne laisse place à aucune négociation, si ce n’est la revendication d’une indépendance sans condition et la souveraineté de Kanaky sans la France. En lançant les écoles populaires kanak, il voulait rompre avec l’éducation française, la buteia waina, littéralement la « bouteille de vin », qui assomme le peuple kanak. Il voulait couper toute relation avec le modèle occidental et colonial.
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